Après une opération de cinq heures à l’hôpital Roosevelt de Banská Bystrica, Robert Fico se trouvait jeudi matin dans un état grave mais stable. Selon le ministre de l’intérieur Matúš Šutaj Eštok, cinq coups de feu ont été tirés lors de la tentative d’assassinat qui a visé le premier ministre slovaque la veille à Handlová, petite ville située dans le centre-ouest de la Slovaquie. Trois ont atteint Robert Fico, touché à l’abdomen. Le tireur présumé, interpellé mercredi et inculpé jeudi, est âgé de 71 ans et vit à Levice. Son fils et un voisin ami, contactés par le site indépendant Aktuality, affirment qu’il possédait une arme de poing déclarée. Les médias slovaques le décrivent comme une personne politiquement active. Il avait participé à un rassemblement de l’opposition libérale le 7 février à Bratislava contre une réforme controversée du code pénal et la reprise en main des médias publics.

Écrivain amateur, il avait aussi publié des recueils de poésie, était membre de l’Association des écrivains slovaques et fondateur d’un petit club littéraire à Levice. Le journaliste hongrois Szabolcs Panyi a également révélé, photo à l’appui, que le suspect avait rejoint en 2016 l’organisation nationaliste et prorusse Slovenskí branci, autodissoute en 2022. Le ministre de l’intérieur a affirmé à l’agence de presse Tasr que la décision du tireur était politiquement motivée et qu’il l’avait prise peu après l’élection présidentielle, remportée le 6 avril par le candidat du pouvoir, Peter Pellegrini.

Polarisation extrême

Cette tentative d’assassinat politique présumée percute une société ultrapolarisée par une vie politique brutale et clivée autour de la personne de Robert Fico, l’homme fort du pays, qu’il a gouverné durant plus d’une décennie, de 2006 à 2018, et dont il a repris les commandes à l’automne 2023. La présidente de la République Zuzana Čaputová a dénoncé « une attaque contre la démocratie » et estimé que « la rhétorique haineuse (…) conduit à des actes haineux ». Elle achève son mandat dans quelques semaines et a renoncé à se représenter en raison des attaques ad hominem récurrentes du camp de Robert Fico.

Ce dernier use d’une rhétorique qui fait écho à celle de son allié Viktor Orban en Hongrie : il ne se reconnaît pas d’adversaires politiques légitimes, seulement des ennemis inféodés à des intérêts étrangers occidentaux. Plusieurs membres de la coalition ont accusé le principal parti de l’opposition, Slovaquie progressiste, d’être responsable de l’attaque, malgré ses fermes condamnations. Le tribun d’extrême droite et prorusse Štefan Harabin, qui a obtenu 12 % des voix lors de la présidentielle en mars, a réclamé la dissolution du parti.

Le pouvoir accuse les médias

Smer, le parti de Robert Fico, a convoqué une conférence de presse dès mercredi, lors de laquelle le vice-président du Parlement, Ľuboš Blaha, a pointé la responsabilité des « médias libéraux ». « À cause de votre haine, Robert Fico se bat aujourd’hui pour sa vie. Vous nous détestiez à tel point que vous nous avez traqués comme des bêtes », a-t-il déclaré. Andrej Danko, chef du parti nationaliste SNS en coalition avec Smer, s’est fait menaçant, prévenant de « changements à venir envers les médias ». Ces médias auxquels la coalition impute la chute de Robert Fico en 2018, précipitée par les révélations puis l’assassinat du journaliste Ján Kuciak et de sa compagne Martina Kušnírová. « La spirale de l’agressivité et de la violence verbale a atteint son paroxysme après les élections de 2020, quand ils (le parti Smer) ont perdu le pouvoir, leurs affaires et leur impunité, écrit sur Facebook Marek Vagovič, journaliste, auteur de plusieurs ouvrages sur Robert Fico. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’une tragédie ne frappe : celui qui sème le vent récolte la tempête. »

Le Parlement a suspendu ses travaux jusqu’au 21 mai. Le vice-premier ministre pourrait assurer l’intérim, le temps de la rémission de Robert Fico. Fidèle parmi les fidèles, Robert Kaliňák avait été arrêté par la police antigang Naka et placé en détention provisoire, accusé d’avoir formé une association de malfaiteurs avec Robert Fico. C’était il y a deux ans, il y a une éternité.

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Un personnage sulfureux de la politique slovaque

Né en 1964, Robert Fico entame sa carrière au Parti communiste avant la « révolution de velours » de 1989.

Avocat de profession, il représente la Slovaquie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme de 1994 à 2000.

Cet admirateur de Vladimir Poutine fonde en 1999 le Smer-Sociale-Démocratie (Smer-SD) et remporte les législatives de 2006. Il est catapulté premier ministre deux ans après l’adhésion à l’UE.

Allié de l’extrême droite, il partage sa rhétorique contre les réfugiés et ses penchants populistes.

Renvoyé dans l’opposition en 2010, il gagne les élections deux ans plus tard, mais doit quitter son poste en 2018, après le meurtre du journaliste Jan Kuciak, qui, dans un article paru à titre posthume, dénonce les liens entre son gouvernement et la mafia italienne.