Elle s’est extirpée de son quotidien aux mille facettes pour venir parler de son dernier-né, un roman jeunesse, troisième tome de la série Le Cercle des audacieux. Au secours de Notre-Dame (1), imaginée après l’incendie qui a ravagé la cathédrale parisienne en 2019. «Sur le trajet pour venir vous voir, j’ai de nouveau regardé des vidéos montrant des réactions à l’époque, sur le site de l’INA, raconte-t-elle. J’ai encore failli pleurer dans le métro ! » Autrice de polars (2), de littérature des grands espaces (3) et de romans jeunesse, chroniqueuse pour le site des Fabuleuses au foyer, membre de l’équipe nationale des Scouts unitaires de France, mère de quatre enfants, engagée, avec son mari, dans sa paroisse, Agathe Portail, 39 ans, n’a guère le temps de s’ennuyer.

Pourtant, la Girondine d’adoption n’a pas hésité à faire un aller-retour à Paris pour parler des Audacieux, un frère et une sœur, Marceau et Suzie, leur perruche Clemsy, ainsi qu’une jeune tailleuse de pierre membre des Compagnons du devoir, Madelon, qui travaille sur le chantier de rénovation de Notre-Dame. Ces héros au service de la cathédrale, aux personnalités bien troussées et attachantes, ont été façonnés par l’intérêt d’Agathe pour l’artisanat et le patrimoine, bain dans lequel cette fille d’une femme maître verrier, et sœur d’un tailleur de pierre, a barboté dès son enfance. « Déjà, à travers mes polars, j’avais envie de faire prendre conscience à mes lecteurs que la vie artisanale se vit toujours avec des savoir-faire qui se sont modernisés mais sont toujours vivants », confie-t-elle d’une voix claire et chaleureuse.

Le monde artistique, « plus ouvert à la dimension religieuse »

Agathe Portail a grandi en Mayenne, à la campagne, « avec beaucoup de liberté», raconte-t-elle. Catholique fervente, elle a reçu « une éducation sans aucun préjugé ». C’est sans doute ce qui lui permet, assurée dans ses convictions, de se jouer des étiquettes et de ne pas craindre les rencontres. Dans ses textes, voulus pour le grand public, la dimension religieuse n’est pas flagrante. « Avec les Audacieux, les lecteurs rentrent dans l’histoire de Notre-Dame par l’angle patrimonial, historique, souligne-t-elle. Cela catéchise de manière indirecte car ça reste du patrimoine religieux.» Pour autant, sa foi – «une foi pas compliquée : c’est la certitude que Dieu est amour et que si on veut bien regarder à travers ce prisme-là, plein de choses incompréhensibles deviennent intelligibles ! » – n’est pas un mystère pour ceux qui la croisent.

Avec d’autres femmes autrices de polars, Agathe Portail a monté un collectif, Les Louves du polar, pour mettre en valeur le polar féminin francophone. «Allez, Agathe, prie ! », la conjurent ses consœurs de polar, non croyantes, lorsque leur collectif naissant est confronté à des difficultés. «Le monde artistique est sans doute plus ouvert à la dimension religieuse que si je travaillais en entreprise, explique-t-elle. Les personnes qu’on y côtoie sont souvent en dehors des systèmes, parfois en rupture avec leurs familles, ouvertes à tout… Et comme nous écrivons sur des gens qui ne sont pas nous, cela nous force à nous intéresser, à écouter des personnes qui pensent autrement que nous ! »

« Le meilleur moyen d’évangéliser n’est pas d’y aller frontalement »

«Les œuvres d’Agathe Portail sont enrichies par ses différents mondes », commente son éditrice aux Éditions de l’Emmanuel, Anne-Sophie Chauvet, qui se dit séduite « par sa personnalité d’une énergie folle et d’une créativité de dingue», et sa manière de « foncer de manière intelligente et sans aucun frein » dès qu’elle décide de faire quelque chose. «Le meilleur moyen d’évangéliser et de toucher les cœurs n’est pas forcément d’y aller frontalement, explicite de son côté Agathe Portail. J’essaie de toucher par les armes qui me sont données, qui sont celles de la fiction. Il y a beaucoup de personnes – je pense à Paul Claudel – touchées non pas par le message mais par la beauté.»

Sa prochaine échéance ? Avant un quatrième tome des Audacieux, c’est pour ses lecteurs adultes qu’elle travaille actuellement. Une histoire dans laquelle il sera question de pilote de chasse et d’éleveur d’aigle mongol. «Il faudrait que ce soit une histoire de rédemption intérieure, mais je me dirige actuellement vers quelque chose d’assez noir, réfléchit-elle à haute voix. Ma responsabilité de croyante, c’est de ne pas être nihiliste. Mais, parfois, les histoires qui sortent sont assez noires, donc je prie l’Esprit Saint, je lui dis : ” Viens bosser !” Je suis peut-être un peu allumée ?», ajoute-t-elle dans un rire.

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Son inspiration. Les créateurs de la série TV « The Chosen »

« J’admire beaucoup le travail de Dallas Jenkins, le créateur de la série TV The Chosen, qui retrace la vie de Jésus. C’est une série très incarnée, belle esthétiquement, avec de l’ambition. Souvent, les catholiques font des choses avec de la bonne volonté, très inspirés, mais sans moyens, et le résultat est décevant. Ce n’est pas du tout le cas avec cette série. Les évangéliques avec lesquels je travaille sont une autre source d’inspiration pour moi. Et notamment leur façon de vivre leur foi avec une exigence très forte. »

(1) Au secours de Notre-Dame. Tome 3 : Opération dynamite. Éd. de l’Emmanuel Jeunesse, 236 p., 13,90 €.

(2) De la même veine, Calmann-Lévy, 448 p., 20,90 €.

(3) Les Âmes torrentielles, Actes sud, 272 p., 21,80 €.