Veste marron et barbe blanche, Alex Zanotelli dépose un drapeau multicolore, symbole de la paix, sur les genoux du pape François. Celui qui vient de faire ce geste est une figure des milieux pacifistes italiens. Ce prêtre combonien a vécu trente ans dans des quartiers difficiles de Nairobi, au Kenya. C’est lui qui accueille, ce samedi 18 mai, dans l’arène de Vérone, ville du nord de l’Italie, un pape venu livrer un plaidoyer enflammé contre la guerre. Un pape s’apprêtant à faire vibrer, quasiment à chaque phrase, les 12 000 personnes venues sous le soleil brûlant participer à une conférence sur la paix qui a débuté la veille.

C’est ni plus ni moins à la « révolution » que le pape a décidé d’appeler ce matin. « Une révolution au sens astronomique du terme : il faut aller chercher la paix, lance le pape. Comment s’y prend-on ? En dialoguant. La paix se fait dans le dialogue. » Une tâche qui requiert de la « patience ». Il est nécessaire, ajoute le pape, de regarder les conflits en face, et de « les prendre à bras-le-corps » pour mieux les résoudre.

« Le prix Nobel de Ponce Pilate »

Pourtant, dans ces arènes construites il y a 2 000 ans, François apparaît aussi, ce 18 mai, en pape inquiet. Inquiet de ce qu’il appelle, depuis le début de son pontificat, « la troisième guerre mondiale par morceaux », de l’inaction des dirigeants du monde, mais aussi de ce qu’il désigne à mots couverts comme une forme de lâcheté. « Je crois que le prix Nobel que nous pourrions donner à tant de gens aujourd’hui est le prix Nobel de Ponce Pilate. Nous sommes maîtres dans l’art de nous laver les mains. »

Sortant sans cesse de son texte, le pape poursuit : « Ne pas s’occuper de paix est un péché grave. » Avant de fustiger, une fois encore, l’industrie de l’armement. « Regardez la liste des pays qui fabriquent des armes », conseille-t-il. Avant que son discours ne prenne un ton ironique. « Et regardez comme ce commerce est beau : préparer la mort ! » « La paix ne sera jamais le résultat de la méfiance, de murs, d’armes pointées les unes sur les autres », insiste François, dans un discours aux accents résolument pacifistes.

Dans l’arène de Vérone, toute la galaxie pacifiste italienne s’est donné rendez-vous. Les dirigeants de la communauté de Sant’Egidio côtoient ceux de Pax Christi, alors que des groupes agitent, dans l’arène, des drapeaux multicolores où l’on peut lire : « Non-violence ». En dehors de l’arène, la mairie de Vérone s’est aussi mise au diapason, puisque depuis quelques jours on y a fait projeter ces mots : « Cessez le feu, maintenant. »

François le sait : défendre la paix constitue un « défi énorme » et revient à être à « contre-courant ». Mais peu importe. Pour lui, l’inaction est impossible. « Il y a un dicton espagnol qui dit : quand l’eau stagne, elle pourrit. Et les personnes immobiles sont les premières à tomber malades. »

La tentation de la vengeance et de la haine

Le pape activiste, face à la foule, semble aussi être gagné par l’émotion, durant les deux heures passées dans l’arène de Vérone. En particulier après avoir entendu le témoignage de deux entrepreneurs, l’un israélien et l’autre palestinien, venus évoquer la perte de leurs proches. Les parents de Maoz Inon ont été assassinés dans un village non loin de la bande de Gaza lors de l’attaque terroriste perpétrée par le Hamas, le 7 octobre 2023. Le frère d’Aziz Abu Sarah a quant à lui été tué par l’armée israélienne à la fin des années 1980, lors de la première Intifada.

Tous deux ont éprouvé la tentation, irrépressible, de la vengeance et de la haine. « J’avais 10 ans lorsque mon frère est mort, retraçait Azizt Abu Sarah quelques minutes avant de s’exprimer devant le pape. J’ai passé les huit années qui ont suivi à vouloir me venger. Ma vie entière était concentrée sur la revanche. Avant de comprendre qu’en agissant ainsi, je devenais otage de ceux qui l’avaient assassiné. » À ses côtés, celui qui est, depuis, devenu son ami, poursuivait : « J’étais malade de douleur et de haine. Physiquement et mentalement malade. Et le meilleur moyen de me soigner était d’arrêter de haïr et de choisir d’aimer. »

Dans l’arène, la présence des deux hommes provoque un très long applaudissement. L’Israélien et le Palestinien viennent de se prendre par la main après avoir mentionné le sort tragique de leurs proches. « Je crois que devant la souffrance de ces deux frères, qui est la souffrance de ces deux peuples, on ne peut rien dire. On ne peut rien dire. Ils ont le courage de se prendre dans les bras », réagit le pape, avant de réclamer quelques instants de silence.

La faiblesse des élites, la force des peuples

Le salut viendra des peuples plus que des « dirigeants, des grandes puissances et de l’élite », est désormais « de plus en plus convaincu » François. « L’avenir de l’humanité » est « dans les mains des peuples, et de leur capacité à s’organiser », affirme-t-il, soulevant l’enthousiasme de la foule. À Aziz Abu Sarah et Maoz Inon, le pape argentin demandera d’ailleurs de « faire entendre leur voix ». Car la paix, insiste François dans un discours qui prend désormais des allures d’encyclique sur la paix, dépend « du réel », et non « des idéologies ». « Les idéologies n’ont pas de pieds pour marcher, pas de mains pour soigner les blessures, pas d’yeux pour voir la souffrance des autres. La paix se fait avec les pieds, les mains et les yeux des peuples concernés », clame-t-il.

Assis au premier rang, un quadragénaire opine du chef en écoutant ce pape plaider inlassablement pour la paix. C’est Mgr Christian Carlassare, l’évêque de Rumbek, au Soudan du Sud. Lui qui a accueilli François en janvier 2023 sait ce que signifie vivre au milieu de la guerre. Il sait aussi que les mots de l’homme en blanc, qui ont résonné dans son pays il y a moins de dix-huit mois, reviennent parfois à un cri dans le désert. « Oui, je crois que nos voix sont des voix dans le désert, mais ce sont des graines qui partent dans le désert, où il y a toujours un peu de vie. » Il développe : « Il n’y a pas d’autres voies que celle de la paix. Nous devons l’emprunter. Quitte à traverser tant de conflits. Mais à nous de ne pas répondre aux conflits par la violence. C’est là que la paix commence. »