Sur les plages des multiples îles qui longent la côte nord-ouest de la Corée du Sud, les vagues de la mer Jaune déposent chaque jour leur fardeau. Algues, bois et déchets en plastique… mais pas seulement. En septembre 2023, sur la grève de l’île de Seongmo s’est échouée la dépouille d’un homme, un Nord-Coréen qui aurait tenté de fuir le régime de Kim Jong-un par la mer. C’était le deuxième en six mois.

Chaque année, les garde-côtes sud-coréens récupèrent les corps de citoyens nord-coréens. Depuis 2010, 29 ont été retrouvés – hommes, femmes et même enfants. Certains ont tenté de traverser la frontière maritime, d’autres ont été emportés par des glissements de terrain, fréquents lors de grosses pluies le long des côtes nord-coréennes. À chaque découverte, les autorités de Séoul enquêtent. « Bien souvent, ils n’ont pas de papiers d’identité, mais ils portent le badge à l’effigie des leaders du régime ou ils n’ont pas de marque de vaccination sur le bras, explique la police locale. Grâce à cela, on peut estimer qu’il s’agit de Nord-Coréens, sans toutefois pouvoir confirmer leur identité. »

« C’est à cause du coronavirus… »

Le ministère sud-coréen de l’unification, responsable des relations intercoréennes, se saisit de ces affaires. Les corps étaient jadis rendus au Nord, mais depuis 2019 Pyongyang refuse de les récupérer. « C’est à cause du coronavirus, avance Choi Byounghwan, chargé de ce dossier au ministère de l’unification. La Corée du Nord craint l’arrivée du virus à cause des dépouilles. »

Dans l’impossibilité de reposer près de leurs proches au Nord, les six corps retrouvés depuis 2019 ont été traités comme des anonymes. Conservés un temps dans une morgue dédiée, ils ont été incinérés et placés dans une fosse commune. Une situation qui attriste Choi Byounghwan : « Malgré la séparation, nous sommes toujours des frères et nous nous devons de leur offrir des funérailles dignes de ce nom. »

Un cimetière plutôt que la fosse commune

Le ministère de l’unification a décidé à partir d’avril d’effectuer des tests ADN sur les prochaines dépouilles. Objectif : pouvoir leur trouver un lien de parenté afin de leur donner un nom et rendre le corps à la famille. Dans un premier temps, les recherches génétiques pourraient permettre de trouver des parents au Nord. « Nous souhaitons toujours renvoyer les corps auprès de leurs proches », précise Choi Byounghwan. Mais le ministère de l’unification a besoin de la coopération de son voisin pour accéder aux données des citoyens nord-coréens. Quasi impossible aujourd’hui, admet le fonctionnaire, mais il garde espoir : « Un jour, peut-être, ils accepteront, dans ce cas-là, nous aurons toujours les résultats à leur communiquer. »

D’ici là, le ministère de l’unification a une autre option. « Nous avons de notre côté effectué un fichage génétique des 27 000 familles séparées entre les deux pays depuis la fin de la guerre en 1953, fait valoir Choi Byounghwan. Ces familles ont des parents au Nord et l’un des corps pourrait être celui d’un cousin éloigné, par exemple. » Si le ministère trouve un parent au Sud, alors il le contactera. « Il est difficile de savoir si les gens seront intéressés par les funérailles d’une personne dont ils n’avaient jusque-là pas connaissance », reconnaît-il. Pour l’heure, le ministère ne dispose pas de corps à tester génétiquement, car la loi sud-coréenne ne permet pas de les conserver plus de six mois.

Pour remplacer la fosse commune, un cimetière sera prochainement dédié aux citoyens nord-coréens retrouvés au Sud afin d’inscrire un jour leurs noms et de permettre aux familles retrouvées de venir se recueillir. « Malgré les difficultés que nous connaissons avec nos frères, il ne faut pas oublier l’humanité, insiste Choi Byounghwan. Nous avons tous le droit à des funérailles afin de reposer en paix près de nos proches. »