C’était au début des années 1970. Un des jeunes délinquants que le père Guy Gilbert, le « curé des loubards », suit dans le 19e arrondissement à Paris, lui dit : « Achète une ruine loin de Paris, loin de là où on sert de l’alcool, loin du shit et de toute la merde (…). Achète une maison délabrée et on la retapera », se souvient le P. Gilbert, 88 ans désormais, qui se mit alors à chercher dans les Alpes-de-Haute-Provence.

Il tombe sur « Faucon », une ancienne bergerie, inhabitée depuis quarante ans et envahie par les ronces, perchée à 850 mètres d’altitude à l’entrée des gorges du Verdon, sur la commune de Rougon. Mais elle coûte 52 000 francs. « Moi, à l’époque,je n’avais pas un rond, juste ma paie d’éducateur, reprend le père Gilbert. Alors un autre gars m’a dit : “Ton Dieu aime les pauvres, il t’enverra l’oseille.” » Qui arrivera effectivement par l’entremise d’un chèque, signé par une dame de Clermont-Ferrand rencontrée après une messe. Le 3 juillet 1974, Guy Gilbert rachète donc Faucon.

Grâce aux droits d’auteur des livres du prêtre, des travaux permettront ensuite de remettre la bergerie en état. Ils dureront près de dix ans. Guy met derrière la brouette ses petits Parigots, les durs parmi les durs qu’il reçoit au « 46 », où il tient permanence à Paris.

« À l’époque, reprend le père Gilbert, en plus de mes trois chiens, on avait une vache, une chèvre et un cochon et je me suis rendu compte que la relation avec les bêtes faisait du bien aux jeunes. Je me suis mis à en acheter d’autres et la zoothérapie est devenue le cœur de Faucon. » Un projet toujours d’actualité, puisque désormais pas moins de 140 animaux de vingt espèces différentes (vaches, chèvres, juments, daims, poules, sangliers, lapins ou encore zébus, chameaux et lamas…) vivent dans ce qui est aussi devenu une ferme pédagogique ouverte aux visiteurs.

« On nous envoie des jeunes qui sont virés de tous leurs foyers »

Cinquante ans après les débuts de Faucon (1), qui fête l’événement les 11 et 12 mai, le père Gilbert habite toujours sur place et le projet est toujours bien vivant. Près de 350 jeunes, majoritairement âgés de 13 à 18 ans, sont passés, par petits groupes de sept, par ce lieu de vie atypique, qui a l’agrément de l’Aide sociale à l’enfance depuis 2001. « On nous envoie des jeunes qui sont virés de tous leurs foyers, qui n’adhèrent à aucun projet, explique Thomas Garlantezec, le directeur de Faucon. Pour qu’on les prenne, il faut qu’ils aient un certain intérêt pour les animaux. »

Après examen du dossier, le jeune et son référent sont invités à une visite pendant lesquelles les règles du lieu sont expliquées. « Il faut qu’ils comprennent que la journée est rythmée par les soins aux animaux et les petits travaux sur la ferme, reprend Thomas Garlantezec. Chacun participe à la cuisine et au ménage. Et le téléphone portable n’est pas accessible. » Chaque jeune reçoit 30 € d’argent de poche le premier mois, somme qui peut croître ou baisser en fonction du comportement.

En contrepartie de ces règles strictes, « les jeunes ont vraiment la parole. Chaque soir, lors du repas, chacun s’exprime sur sa journée, l’idée étant de vider son sac pour repartir d’un bon pied le lendemain. Et chaque mois on voit si les objectifs ont été tenus. » Il peut s’agir de reprendre une scolarité, en établissement ou à distance. Le tout tient grâce à un investissement hors normes des salariés, dont les sept éducateurs, qui se relaient une semaine sur deux sur place, un maître de maison cuisinier, un agent technique, un ouvrier agricole et deux responsables.

Si les jeunes qui ne respectent pas les règles ne sont pas admis à rester, beaucoup tiennent plusieurs années. Et, après leur départ, ils peuvent toujours appeler la permanence du « 46 » en cas de besoin. « J’en ai enterré quelques-uns mais la plupart s’en sont sortis et beaucoup reviennent nous voir », se souvient le père Gilbert, qui aimerait à l’avenir voir ouvrir un lieu d’accueil spécifiquement dédié aux filles.

(1) L’histoire de Faucon est racontée dans le livre Des loups dans la Bergerie, Guy Gilbert, Éd. Philippe Rey, 203 p., 19 €, réédité en mai 2024.

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Un prêtre chez les loubards

1935. Naissance en Charente-Maritime, dans une famille ouvrière de quinze enfants.

1948. Entrée au petit séminaire, à l’âge de 13 ans.

1957. Service militaire en Algérie.

1965. Ordination pour le diocèse d’Alger. Vicaire pendant cinq ans à Blida, où il rencontre Alain, un enfant qui vient se réfugier chez lui.

1970. Devient éducateur spécialisé, il se voue aux jeunes des rues à Paris.

1974. Achat de la bergerie de Faucon.

1978. Parution du livre Un prêtre chez les loubards (Éditions Stock). Vendu à 300 000 exemplaires.

2007. Il accompagne le président de la République Nicolas Sarkozy au Vatican.