On a connu des centenaires moins agités. Quelques incidents ont émaillé, mardi 26 mars, la cérémonie célébrant le centième anniversaire de TotalEnergies, organisée par la direction au château de Versailles, avec la manifestation de militants écologistes réclamant de « mettre fin au règne du pétrole et du gaz ».

Quelques heures plus tôt, une soixantaine de membres d’Extinction Rebellion s’étaient introduits dans la raffinerie de Donges (Loire-Atlantique), déguisés en clowns. « À l’heure du bilan, l’histoire de TotalEnergies reste marquée par une série de scandales », assure de son côté Greenpeace dans un communiqué, en mettant en avant le naufrage du pétrolier Erika au large du Finistère en 1999 et l’explosion de l’usine AZF de Toulouse en 2001.

La lettre de mission de Raymond Poincaré

Qu’il semble loin l’état d’esprit qui présida à la création de la Compagnie française des pétroles (CFP), l’ancêtre du groupe dont les statuts furent déposés le 28 mars 1924. Quelques mois auparavant, le 29 septembre 1923, le président du Conseil, Raymond Poincaré, avait adressé une lettre de mission à l’ingénieur Étienne Mercier, lui enjoignant de créer une société ayant pour but de développer une « production de pétrole à contrôle français dans les différentes régions productrices ».

Bref, un outil au service de l’indépendance énergétique du pays. La CFP fut alors dotée d’une participation de 25 % dans la Turkish Petroleum Company, rachetée par le gouvernement français à la Deutsche Bank. L’aventure démarrera réellement en octobre 1927, avec un premier forage réussi dans la région de Kirkouk en Irak. En 1998, l’entreprise s’empare du belge Petrofina, puis dans la foulée de son rival Elf, entrant ainsi dans la cour des grandes majors du pétrole et du gaz.

La demande de pétrole et de gaz continue de croître

Changement de décor, aujourd’hui. TotalEnergies est accusé de ne pas aller assez vite dans la transition énergétique alors qu’il dégage d’énormes profits (20 milliards d’euros en 2023). En réponse, le groupe tient toujours le même discours. Il ne représente qu’à peine 2 % de la production pétrolière mondiale et s’il arrête ses forages, le prix du baril commencera par grimper et ses puits seront ensuite repris par d’autres, qui les exploiteront peut-être de manière moins rigoureuse. Ce n’est pas l’offre qui crée la demande, mais les besoins des pays émergents, en croissance démographique et qui ont soif de développement et donc d’or noir, insiste son PDG, Patrick Pouyanné.

Il met aussi en avant ses efforts pour réduire son empreinte carbone, alors que les compagnies nationales, pétrolières et gazières, qui assurent environ 60 % de la production, n’en font pas autant. L’entreprise augmente aussi ses investissements dans les énergies renouvelables : 2 milliards d’euros en 2020, 3 milliards en 2021, 4 milliards en 2022, 5 milliards en 2023 et autant cette année, avec une cinquantaine de pays ciblés.

Certes, c’est encore trois fois moins que les montants qu’il consacre aux énergies fossiles, mais c’est beaucoup plus que ce que font les autres majors, notamment américaines. Le groupe possède désormais 23 GW de capacités renouvelables et vise les 100 GW en 2030. Mais c’est l’argent gagné dans les hydrocarbures qui permet d’accélérer dans les énergies vertes, assure son bouillant PDG.

Un contrat « multi-énergies » en Irak

Pour étayer ses propos sur la transformation de TotalEnergies, Patrick Pouyanné cite volontiers le contrat géant et « multi-énergies » (10 milliards d’euros), unique en son genre dans le secteur, qui a été signé en juillet avec le gouvernement irakien, qui porte à la fois sur du pétrole, du gaz et du solaire. Le groupe va moderniser le champ de Ratawi pour porter sa production de 30 000 barils par jour à 210 000 d’ici à la fin 2027.

Dans le même temps, il va aussi construire une usine de traitement d’eau de mer, afin de remplacer l’eau douce qui est aujourd’hui puisée dans les nappes phréatiques puis réinjectée dans les champs pétroliers afin de maintenir la pression, nécessaire pour extraire l’huile. Une solution bienvenue dans un pays confronté à une situation de stress hydrique.

Récupérer le gaz torché

TotalEnergies va également récupérer le gaz jusqu’à présent brûlé à la sortie des puits, dans d’immenses torchères. Une véritable catastrophe environnementale doublée d’un gâchis économique. « Aujourd’hui, le gaz torché en Irak équivaut à ce que le pays importe d’Iran pour faire fonctionner ses centrales électriques », souligne Julien Pouget, le directeur de l’exploration-production du groupe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Avec ce projet, un tiers du torchage devrait disparaître, en alimentant 3 GW de centrales, l’équivalent de la consommation en électricité de 3 millions de foyers.

Enfin, une centrale solaire de 1 GW va voir le jour fin 2025. Elle sera l’une des plus grandes du Moyen-Orient, avec ses 2 millions de panneaux répartis sur 22 km2. « Ce contrat montre comment nous pouvons aider les pays producteurs à se développer dans les renouvelables, tout en diminuant l’intensité carbone de leur production d’hydrocarbures », assure Benoît Ludot, le directeur du projet.

D’autres projets dans les cartons

Au Kazakhstan, TotalEnergies va ainsi construire un parc éolien de 1 GW. Au Mozambique, il va développer avec EDF une centrale hydroélectrique de 1,5 GW. En Libye et en Ouganda, il planche sur des projets solaires. Au Qatar, il a inauguré en 2022, le gigantesque parc photovoltaïque d’Al Kharsaah. Avec ses 800 MW, il fournit à lui seul, en journée, 10 % de la consommation électrique de l’émirat. Ces derniers mois, TotalEnergies a d’ailleurs répondu à plusieurs appels d’offres solaires dans la région, comme en Arabie saoudite et à Oman.