► Jazz vocal : la douceur de Youn Sun Nah

Elles de Youn Sun Nah, CD Warner Music, 17 €

Youn Sun Nah reprend de son timbre caressant un répertoire exclusivement féminin. La chanteuse sud-coréenne, associée au pianiste Jon Cowherd, se risque sur Feeling Good sans prétendre rivaliser avec Nina Simone, qu’elle révère : « Nina Simone est comme une chamane. Elle n’est pas seulement une chanteuse, elle est la musique elle-même. »

L’artiste revisite Björk (Cocoon) ou Grace Jones avec I’ve Seen That Face Before (Libertango). Un negro-spiritual, Sometimes I Feel Like A Motherless Child, un rock psychédélique, White Rabbit, une version presque a cappella de Killing Me Softly With His Song… La très francophile Youn Sun Nah s’empare même de La Foule par admiration pour Édith Piaf. L’ensemble, délicieusement jazzy, témoigne du goût très sûr et de la palette sensible de cette vocaliste accomplie, à écouter cet été dans les grands festivals de jazz.

► Folk : Vera Sola, un lyrisme orageux

Peacemaker de Vera Sola,CD City Slang/Spectraphonic Records, 16 €

Vera Sola a été décrite comme « l’enfant perdue de Leonard Cohen et de Nancy Sinatra » à la sortie de son premier album Shades en 2018. C’est dire si le retour de la chanteuse, autrice et musicienne américano-canadienne était attendu.

Peacemaker, son deuxième disque, dépasse les promesses placées en elle. Sa voix grave porte les ténèbres d’un orage. Évoluant d’un folk dépouillé à un déchaînement rock dans la même chanson, elle séduit par l’ampleur de ses orchestrations.

À son meilleur dans la chanson Blood Bond, Danielle Aykroyd (son vrai nom) est diplômée en poésie de Harvard. Le lyrisme de ses textes, la cohérence mélodique de ses compositions et le mystère envoûtant de son timbre seront à découvrir le 28 juin 2024 à la Cité de la musique-Philharmonie de Paris.

► Jazz : Kathrine Windfeld ou le don d’écriture

Aldebaran, Kathrine Windfeld Sextet, Stunt Records, 18 €

Le talent d’écrire n’est pas donné à tous les musiciens. Kathrine Windfeld le possède à coup sûr, tant pour peaufiner des mélodies que pour les habiller d’arrangements.

Jusqu’ici, la pianiste danoise avait mis ses dons au service de big bands, suivant ainsi la trace de sa prestigieuse aînée, l’Américaine Maria Schneider. Dans ce nouvel opus intitulé Aldebaran, c’est en sextet qu’elle présente de nouvelles compositions. Et il est frappant de constater, dès les premières mesures, à quel point elle parvient à faire sonner cette formation réduite grâce à une plume à la fois ample et incisive.

Le casting de son sextet, tant dans le choix des cuivres (le trompettiste Tomasz Dabrowski, les saxophonistes Marek Konarski et Hannes Bennich) que dans celui du batteur (Henrik Holst Hansen), est pour beaucoup dans cette réussite. Mention spéciale pour deux ballades, l’évocatrice Sea Widow et une poignante Letter to Lviv, en hommage à la ville ukrainienne martyrisée.

► Pop : la nostalgie new wave de Lescop

Rêve parti, de Lescop, Labréa Music/Wagram, 15 €

Lescop avait fait sensation dans la pop française avec l’album La Forêt en 2012. Ambiance new wave, mélancolie, belle écriture en français…

L’artiste retrouve ces atouts pour l’album de son retour, dans une ambiance nostalgique, comme en atteste la Mercedes rouge vintage mise en remorque illustrant sa pochette. En 13 chansons intimistes, sa voix aux inflexions syncopées conte des déroutes affectives et une reconstruction, sur des rythmiques lancinantes.

Produit par Thibault Frisoni, artisan d’un son ciselé, l’album contient trois duos avec Izïa, Halo Maud et Laura Cahen, qui apportent des touches romantiques à cette impeccable partition pop. La belle tournée qui accompagne Rêve parti montre que Lescop n’a pas été oublié.

► Chanson : les chemins de lumière de Fabien Martin

Je ne fais que marcher dans la montagne, de Fabien Martin, CD Littoral Records/Kuroneko/TeamZic, 15 €

Fabien Martin trace sa route dans la chanson française presque vingt ans après son premier disque, Ever Everest. Intimiste et pop, son nouvel album dessine son autoportrait en honnête homme. Comment devenir qui je suis, s’interroge-t-il, apportant ses réponses façon puzzle.

Son duo très dansant avec la trop rare Jil Caplan va de l’avant en se « cognant à la réalité ». Le bassiste américain Jeff Hallam, longtemps complice de Dominique A, le rejoint au chant sur I Want A Lover, sur un air bluesy. Deux sensibilités à vif se confrontent lors d’un autre duo Dans ma boîte noire avec Ours (Charles Souchon).

Des échappées de Fabien Martin, entre piano et synthés, entre saxophone et voix, on retient des ambiances sonores qui respirent et apaisent.

► Musiques du monde : avec Lina, le fado sans larmes

Fado Camões de Lina, CD Galileo Music/Uguru/Pias, 16 €

Chanteuse portugaise au timbre limpide, Lina s’est fait connaître en France par un album hommage à Amalia Rodrigues, conçu avec le musicien Raül Refree. La jeune fadista chante cette fois les poèmes écrits au XVIe siècle par Luis de Camões, le « Shakespeare portugais ».

Le producteur anglais Justin Adams entoure son chant vibrant et nostalgique de guitares lancinantes, de cordes tissées, de piano et de silences épurés, en un écrin sonore. Synthétiseurs et percussions bien dosés ajoutent leur touche de modernité aux mélodies écrites par l’artiste sur les mots du poète.

Avec Lina, le fado perd de sa mélancolie, mais garde son charme. Il prend des accents sensuels le temps d’un duo avec le chanteur espagnol Rodrigo Cuevas, O que temo e o que desejo, en parfaite osmose des deux voix.

► Pop : Mylène Farmer, un remix de ses tubes et un livre savant

Remix XL de Mylène Farmer, CD, 19 € (ou double vinyle, 42 €)

Sociologie de Mylène Farmer, d’Arnaud Alessandrin et Marielle Toulze, éditions Double Ponctuation, 146 p., 16 €

Star incontestée de la pop française, Mylène Farmer a retravaillé ses standards dans Remix XL en collaboration avec des musiciens electro comme Feder et The Magician, et des artistes plus inattendus tels que le Britannique Théo Hutchcraft (Hurts) et le réalisateur David Lynch. L’artiste a réenregistré sa voix en studio sur certains des 21 titres présentés, dont Désenchantée, Libertine, Sans contrefaçon, Pourvu qu’elles soient douces

Mylène Farmer devient aussi un sujet d’études en sciences humaines, comme Jean-Jacques Goldman, récemment décrypté par Ivan Jablonka. Arnaud Alessandrin, sociologue du genre à l’université de Bordeaux, et Marielle Toulze, qui enseigne les sciences de l’information à l’université de Saint-Étienne, sont tous deux fans de la chanteuse. Ils se penchent sur ses textes, clips et concerts depuis 1984, pour décrire comment les questions de société « peuvent se traduire dans un univers pop aux références particulières ».

Les sociologues étudient ses publics, avec une centaine d’entretiens dont ils ont tiré des témoignages signifiants. On retient celui de Paul, agriculteur breton retraité, qui trouve que « Mylène le recentre sur lui-même ». Quant à Lara, 51 ans, cheffe de l’équipe d’entretien d’un lycée, elle la voit « avant tout comme une poétesse ». Passionnant.