« Chercheur obstiné de l’absolu pictural », selon la peintre Geneviève Claisse, « premier maître de l’art abstrait » admiré par Jean Cassou, le directeur du Musée national d’art moderne : les commentaires élogieux ont jalonné la carrière d’Auguste Herbin (1882-1960). Peintre et théoricien, il fut l’une des grandes figures de l’abstraction géométrique et colorée. Son nom reste pourtant inconnu du grand public, et souvent oublié des manuels d’histoire de l’art. La rétrospective que lui consacre le Musée de Montmartre – la première dans un musée parisien – a pour ambition de réparer cette injustice.

Fils d’ouvriers tisserands du nord de la France, Auguste Herbin suit très tôt des cours de dessin industriel au Cateau-Cambrésis, ville natale d’Henri Matisse ; il reçoit en 1898 une bourse pour étudier à l’École des beaux-arts de Lille, puis s’installe en 1901 à Paris, alors capitale mondiale de l’art. Les influences de la peinture flamande découverte à Bruges, et du postimpressionnisme de Signac et Seurat, transparaissent de manière évidente dans la première salle de l’exposition – dont l’étonnant Paysage nocturne à Lille de 1901, aux couleurs déjà audacieuses et à la structure géométrique affirmée.

Il reprend l’atelier de Picasso au Bateau-Lavoir

À partir de 1904, le marchand Wilhelm Uhde l’expose régulièrement. Herbin est, dès 1905, reconnu comme un peintre fauve, usant de couleurs explosives ; mais s’il partage avec les autres fauves une admiration pour Van Gogh, il est déjà singulier. Le superbe Portrait de jeune femme de 1907, prêté par le Musée Von der Heydt de Wuppertal en Allemagne, est fait de grandes hachures de couleurs droit sorties du tube, se détachant sur un fond jaune clair. Le choc de la découverte de Cézanne, partagé par toute une génération lors de la grande rétrospective posthume organisée cette même année au Salon d’automne, l’amène sur la voie du cubisme en 1908, à la suite de Braque et de Picasso – dont il reprend l’atelier au Bateau-Lavoir en 1909.

Au Musée de Montmartre, « Auguste Herbin, le maître révélé »

Dans la décennie suivante, Herbin garde son intérêt pour la couleur, n’épousant pas la monochromie du dernier cubisme hermétique. Route muletière et maison à Céret, 1913, ou La Famille, femmes et enfants, 1914, conservés au Musée d’art moderne de Paris, sont emblématiques de son évolution : le fond et la forme tendent à fusionner, et tout objet ou élément du paysage est ramené à une forme géométrique – carré, triangle ou parallélépipède. L’artiste joue des effets décoratifs créés par ces superpositions de plans, non sans une certaine fantaisie.

Le rêve d’un art abstrait pour tous

Cette inclination vers la synthèse et la géométrie, cette exploration de toutes les possibilités de la forme et de la couleur vont le conduire « naturellement » à l’abstraction. Herbin a définitivement fait sienne cette belle citation de Cézanne : « L’art est une harmonie parallèle à la nature. »

Une grande salle aux murs bleu foncé est dédiée à ce basculement formel dans les années 1918-1922. Herbin rêve d’un art pour tous, accessible, monumental, intégré à la société moderne ; en cela, sa démarche n’a pas d’équivalent en France, et le rapproche du Bauhaus en Allemagne, de De Stijl aux Pays-Bas et du constructivisme russe. Hélas, ses peintures sur mortier, meubles et autres « objets monumentaux » sont un échec critique et commercial ; Léonce Rosenberg, son marchand depuis 1916, le convainc d’abandonner cette voie.

Au Musée de Montmartre, « Auguste Herbin, le maître révélé »

Le pouvoir des couleurs

Après une parenthèse figurative, il fonde en 1931 avec Jean Hélion et Georges Vantongerloo, Abstraction-Création, association centrale dans l’histoire de l’abstraction géométrique, à laquelle adhèrent notamment Kandinsky et František Kupka. Il participe aux côtés de Robert Delaunay à l’Exposition internationale des arts et des techniques de 1937. En 1939, il découvre la théorie des couleurs de Goethe, qui le marque profondément. Herbin affirme alors ses contrastes de couleurs pures. Il retourne aux formes géométriques avec la série des Synchromies.

Au Musée de Montmartre, « Auguste Herbin, le maître révélé »

De 1939 à 1942, il élabore un « alphabet plastique » dont il se servira jusqu’à la fin de sa vie : chaque lettre de l’alphabet correspond à une note de musique, une couleur et une forme géométrique, selon un principe synesthésique. Derrière cette apparente austérité se cache le rêve d’un art synthétique qui exprimerait la vérité de l’être, dans une démarche hautement spirituelle. Ces recherches, matérialisées dans l’ouvrage L’Art non-figuratif non-objectif publié en 1949, seront déterminantes pour le renouveau de l’abstraction d’après-guerre. Elles influenceront nombre de jeunes peintres qui le considéreront comme un maître – Vasarely en tête.

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Un précurseur de l’art abstrait

1882 : Naissance d’Auguste Herbin à Quiévy (Nord). Il passe son enfance au Cateau-Cambrésis.

1898 : Une bourse lui permet d’étudier à l’École des beaux-arts de Lille.

1901 : Installation à Paris.

1906 : Expose au Salon des indépendants.

1908 : Lié d’amitié avec Picasso, Braque et Juan Gris, il donne une orientation cubiste à sa peinture.

1931 : Fonde l’association Abstraction-Création.

1939 : Il découvre la théorie des couleurs de Goethe, puis élabore dans les années suivantes un « alphabet plastique » qui associe chaque lettre de l’alphabet à une note de musique, une couleur et une forme géométrique.

1949 : Publie L’Art non figuratif non objectif.

1956 : Il offre 24 œuvres au Musée du Cateau-Cambrésis, qu’il a fondé avec Matisse.

1960 : Il meurt à Paris.

Auguste Herbin, le maître révélé, au Musée de Montmartre-Jardins Renoir, jusqu’au 15 septembre 2024. Rens. : www.museedemontmartre.fr