Il en va des cérémonies de remise de prix comme des discours de départ à la retraite. On ne semble pouvoir s’en passer alors que, la plupart du temps, l’ennui en est l’invité d’honneur et que la satisfaction ne naît qu’au moment d’y poser le point final. Il est heureusement des exceptions à la règle. Ce ne fut, hélas, pas le cas, le lundi 6 mai, de la 35e soirée des Molières, retransmise sur France 2 depuis les Folies Bergère à Paris.

Certes, remettre 19 trophées n’est pas une mince affaire et, même si le temps accordé au discours de remerciements des heureux lauréats était théoriquement limité à une minute, le téléspectateur aura tout de même passé plus de deux heures devant son petit écran. L’humoriste Caroline Vigneaux, maîtresse de cérémonie, avait pour mission d’insuffler de l’énergie au programme mais ses gags manquaient d’originalité et d’élan, pauvrement rehaussés par des attractions fleurant le cabaret d’antan, le charme en moins. Est-ce se montrer grincheux que de s’étonner que l’habillage d’une soirée consacrée au théâtre, aux comédiens, aux textes et à la magie de la scène, soit si peu inspirée et si peu créative ?

Messages politiques et cause des femmes

À l’évidence, la priorité était donnée aux messages politiques et sociaux, la ministre Rachida Dati ayant été, à plusieurs reprises mais très correctement, interpellée sur les 204 millions d’euros « sabrés » dans le budget de la culture ou la nécessité de garantir le régime de l’intermittence. Plus encore, c’est la lutte contre les violences faites aux femmes et, plus généralement, la cause féministe qui aura servi de fil rouge à la cérémonie. Son maître d’œuvre, Jean-Marc Dumontet, a, lui, insisté sur « l’exception culturelle française dont on a bien besoin dans nos sociétés fragmentées », rappelant l’importance de la liberté de création et d’expression, ces piliers du théâtre. Plus tôt dans la soirée, Sophia Aram avait reçu le Molière du spectacle d’humour pour Le Monde d’après et fustigé, sous les applaudissements, le silence des milieux de la culture à la suite des massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023.

Politique encore, le Molière du théâtre privé remis à 4 211 km d’Aïla Navidi sur l’exil d’une famille iranienne à la suite de la révolution de 1979, spectacle qui a valu également le trophée de la révélation féminine pour Olivia Pavlou-Graham. Aïla Navidi a rappelé avec une indignation émue le sort du rappeur iranien Toomaj Salehi, condamné à mort par le régime de son pays… Côté théâtre public, deux Molières – meilleur spectacle et meilleur metteur en scène pour Louis Arene – sont revenus à 40° sous zéro, proposition pluridisciplinaire, grinçante et insolente de la compagnie Munstrum Théâtre, d’après deux pièces de l’Argentin Copi.

Gloire aux comédiens

Les spectateurs fidèles des théâtres seront heureux que la comédienne Cristiana Reali, sept fois nommée au cours des dernières années, obtienne enfin la statuette au titre du théâtre privé pour Un tramway nommé désir, tandis que sa consœur Vanessa Cailhol, pourtant « outsider » face à Emmanuelle Bercot, Laetitia Casta et Marina Hands, fut couronnée, côté théâtre public, pour Courgette. Chez les hommes, Micha Lescot obtient le Molière du meilleur comédien dans un spectacle du théâtre public pour son incarnation de Richard II de Shakespeare, et Vincent Dedienne celui du théâtre privé pour le délectable Chapeau de paille d’Italie de Labiche, que l’acteur a présenté comme « le meilleur moment de (sa) vie professionnelle »… À noter que le spectacle sera diffusé le 10 mai à 21 heures sur France 5 et sur france.tv.

Éclectique, le palmarès a également mis à l’honneur Neige, le spectacle de la très douée Pauline Bureau qui revisite le conte bien connu de Blanche-Neige – Molière jeune public et Molière de la création visuelle et sonore –, ainsi que l’un des grands succès de la saison, Le Cercle des poètes disparus. Son metteur en scène Olivier Solivérès et l’un de ses jeunes comédiens, Ethan Oliel, sont repartis avec une statuette.

Toute cérémonie comporte sa séquence d’hommage aux disparus, évoqués par une sobre galerie de portraits projetés en fond de scène, mais aussi une récompense honorifique adressée à une grande figure du métier. Francis Huster aura reçu la sienne des mains d’Éric-Emmanuel Schmitt, l’un et l’autre prononçant un discours bien troussé. Où le spectateur se retrouvait soudain plongé dans l’ambiance aimable et policée des « soirées théâtrales » de jadis.